2011-02-18 - Syndicat de la Magistrature : Observations sur le projet de loi sur les soins psychiatriques

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/fHqIt ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/49

Document du vendredi 18 février 2011
Article mis à jour le 30 août 2020
par  CRPA

Syndicat de la Magistrature
12-14, rue Charles-Fourier, 75013 Paris — Tél 01 48 05 47 88 — Fax 01 47 00 16 05
syndicat.magistrature chez wanadoo.fr
www.syndicat-magistrature.org

Observations sur le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

Pour le Syndicat de la magistrature, le « projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », contrairement à son titre, ne semble pas avoir été inspiré par une réelle volonté d’accroître les droits des patients. Tout au contraire, dans sa version initiale, il assouplissait les conditions posées pour l’hospitalisation contrainte et rendait plus difficile sa mainlevée. Comment ne pas faire alors le lien entre l’inspiration de ce texte et le discours prononcé à Antony le 2 décembre 2008 par Nicolas Sarkozy, discours qui annonçait « la sécurisation des établissements et la réforme de l’hospitalisation d’office » et qui refusait — ainsi qu’on l’a souvent entendu depuis et encore récemment — que les « drames » puissent être « imputés à la seule fatalité » ?

Cette réforme s’inspire également du rapport remis en mai 2005 par l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des services judiciaires et initié dans un contexte caractérisé par une progression exponentielle du nombre des hospitalisations sous contrainte et le recours toujours plus important aux procédures d’urgence. La mission d’inspection notait ainsi que le nombre des ces hospitalisations sans consentement avait presque doublé depuis 1990 alors que, dans le même temps, la réponse sanitaire mal adaptée freinait l’accès aux soins. Enfin, les inspections critiquaient déjà il y a six ans le peu d’effectivité des garanties reconnues aux personnes souffrant de troubles mentaux et l’insuffisance de l’information délivrée aux malades.

Ce texte instaure, au delà de l’hospitalisation, des soins à domicile sans consentement qui posent de graves questions de principe sans leur apporter de réponses suffisantes.

Grâce à la décision du Conseil constitutionnel en date du 26 novembre 2010 et à sa motivation soulignant les garanties actuelles découlant de l’exigence de deux certificats, le gouvernement a heureusement renoncé à alléger les conditions de l’hospitalisation forcée, qui peuvent déjà sembler assez formelles aujourd’hui : près de la moitié des hospitalisations sur demande d’un tiers se faisant en urgence, un seul certificat médical est alors fourni.

Par ailleurs, le contrôle désormais systématique des hospitalisations par le juge des libertés et de la détention, tel qu’il découle de la décision du Conseil constitutionnel, nous semble pleinement correspondre à la mission de garantie des libertés individuelles que le juge doit exercer conformément à la Constitution : reste à savoir si celle-ci pourra être correctement remplie.

I. — Une logique restrictive des libertés individuelles

Une « garde à vue psychiatrique »

L’article L. 3211-2-2 [projeté au code de la santé publique] prévoit qu’une personne admise en soins psychiatriques sous la contrainte « fait l’objet d’une période d’observation et de soins initiale sous la forme d’une hospitalisation complète. Dans les 24 heures suivant l’admission, un psychiatre de l’établissement d’accueil établit un certificat médical (…) confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins au regard des conditions d’admission (…). ». Ce praticien est différent du rédacteur du ou des certificats nécessaires pour l’admission du patient.

Certes, les hospitalisations contraintes sont parfois nécessaires pour des personnes en période de crise et qui ne sont plus en mesure d’accepter ou de demander des soins. Il est certain cependant que cette disposition sera comprise comme ouvrant la possibilité de maintenir un patient hospitalisé pendant soixante-douze heures sans devoir s’interroger auparavant sur le bien-fondé de cette contrainte.

Il est dangereux de maintenir une sorte de « garde à vue psychiatrique », à laquelle on consentira d’autant plus facilement qu’elle apparaît comme une mesure brève, à même de dépasser le pic de la crise, alors que l’on réforme le régime de la garde à vue judiciaire dont on prétend limiter le nombre et la durée. La tentation sera évidemment forte de recourir à une hospitalisation sous contrainte, dont on sait qu’elle est souvent sollicitée par les services de police ou le parquet pour faire face à des troubles causés notamment par des individus sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants. Si la personne ainsi contrainte doit être « informée de ce projet de décision et mis(e) à même de faire valoir ses observations par tout moyen et de manière appropriée à son état » et ce « dès l’admission ou aussitôt que son état le permet », on peut évidemment craindre que dans cette phase de crise, elle ne soit pas en mesure de donner utilement son « avis ».

Le motif avoué de cette disposition est d’organiser une période d’observation permettant une orientation adaptée à l’état du patient mais le risque est en fait que ces 72 heures soient utilisées comme un temps de contention chimique des malades sans que soit commencée une vraie prise en charge thérapeutique. Pourraient être alors observées, sur le plan médical, des dérives similaires à celles qui ont été reprochées à la garde à vue judiciaire.

Un renforcement des pouvoirs du préfet

Non seulement les sorties d’essai sont désormais supprimées mais il faudra l’accord explicite du préfet pour toute sortie accompagnée, au lieu de l’absence d’opposition. Cette procédure particulièrement lourde ne pourra que décourager l’organisation de telles sorties.

Le préfet interviendra aussi pour la modification du protocole de soins proposée par le psychiatre et pourra s’opposer au passage d’une hospitalisation contrainte à un autre mode de prise en charge malgré l’avis du psychiatre.

Il sera très difficile pour la personne concernée d’exercer un recours devant le tribunal administratif contre cette décision du préfet contre l’avis du soignant, et il nous paraîtrait logique de prévoir l’intervention du juge judiciaire dans cette situation.

Un casier judiciaire psychiatrique ?

Le texte de l’article L. 3213-8 alourdit le régime de mainlevée des hospitalisations contraintes tant pour les personnes ayant été placées en unité pour malades difficiles (UMD) que pour celles ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale : il sera désormais nécessaire d’obtenir l’avis du collège de soignants mentionné à l’article L. 3211-9 (et composé de deux psychiatres et d’un cadre de santé) ainsi que deux expertises concordantes ordonnées, selon les hypothèses, par le juge des libertés et de la détention ou par le préfet.

La mise en œuvre de cette disposition nécessitera la création d’un nouveau fichier pour une catégorie de malades a priori étiquetés dangereux et ce, sans limitation de durée. On sait pourtant que de telles déclarations d’irresponsabilité pénale peuvent ne concerner que des faits peu graves (par exemple des dégradations commises en période de crise) et que l’hospitalisation en unité de malades difficiles peut remonter à des années.

Le texte crée une rupture intolérable d’égalité entre les malades devant la loi, et fait malheureusement peu de cas de la capacité des professionnels à évaluer les situations et à s’entourer de plusieurs avis si nécessaire.

Les soins contraints à domicile

La loi pose le principe d’une autre forme de soins sans consentement « incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile », dans le cadre d’un protocole de soins, tout en renvoyant à un décret en Conseil d’État la définition du contenu de ce protocole.

Ce silence de la loi est inacceptable au regard des questions de principe que pose la notion de soins contraints à domicile : comment articuler ce protocole avec le respect de la vie privée, quelle est la situation des tiers vivant au même domicile, quelles sont les conditions de l’intrusion forcée dans ce domicile, du concours de la force publique ? Il est impossible de renvoyer au pouvoir réglementaire de telles questions.

Il est certes compréhensible que certaines associations de familles de malades, en situation de détresse et trop peu informées de la situation de leur proche se soient déclarées favorables à cette réforme : l’idée que l’on puisse imposer au patient de prendre son traitement à domicile peut être rassurante. Par ailleurs, il semble évidemment préférable d’être soigné chez soi plutôt que d’être hospitalisé.

En réalité, comme nous l’avons constaté à de nombreuses reprises dans l’institution judiciaire dès lors qu’une mesure était présentée comme une alternative à la détention, cette modalité de soins risque de se substituer à des mesures jusqu’ici consenties au lieu de se substituer aux mesures d’hospitalisation. Dans l’état actuel d’engorgement des services de secteur, risque fort de se produire un glissement qui conduira, en raison de la prise en charge prioritaire des mesures de soins sans consentement, à recourir à ces nouvelles mesures pour avoir la certitude d’un suivi.

De l’avis des professionnels, il arrive ainsi déjà aujourd’hui que l’hospitalisation sur demande d’un tiers soit la seule manière d’obtenir une place dans un établissement hospitalier.

Compte tenu de l’absence totale de définition législative du cadre dans lequel des soignants pourront intervenir de force au domicile d’une personne, il peut s’agir d’une première étape qui permettra d’envisager ensuite l’institution de « bracelets électroniques », ainsi que l’idée en avait été émise dans des travaux préparatoires au projet de loi…

II. — L’intervention du juge judiciaire : une réelle garantie ou un alibi ?

Le 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur plusieurs articles du code de la santé publique relatifs à l’hospitalisation psychiatrique à la demande d’un tiers, a été amené à préciser pour la première fois l’interprétation qu’il convenait de retenir des exigences constitutionnelles en matière de soins sans consentement. Il a en effet estimé qu’en « prévoyant que l’hospitalisation sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire, les dispositions de l’article L. 337 du code de la santé publique méconnaissent les exigences de l’article 66 de la Constitution ». Il a fixé au 1er août 2011 la date d’abrogation de ces dispositions.

Le juge des libertés et de la détention voit en conséquence son rôle actuel étendu puisqu’il ne statuera plus seulement sur recours des intéressés (actuellement assez rares) mais pour contrôler toutes les hospitalisations contraintes de plus de quinze jours, puis à nouveau à l’expiration d’un délai de six mois. Ces nouvelles dispositions concernent aussi bien les hospitalisations sur demande d’un tiers que les hospitalisations d’office.

Même si le Conseil constitutionnel a considéré qu’aucune norme supérieure n’imposait l’intervention du juge judiciaire dès la décision initiale, la question peut légitimement être posée d’une intervention a priori ou tout au moins dès la décision initiale. En effet, d’autres pays européens, parmi ceux qui se sont dotés d’une législation de l’hospitalisation sous contrainte, confient cette compétence dès l’origine à l’autorité judiciaire.

Cette nouvelle mission confiée au juge des libertés et de la détention déjà chargé du contentieux de la détention et de la rétention des étrangers rend plus que jamais indispensable l’attribution d’un statut de ce poste, ce que le Syndicat de la magistrature ne cesse de réclamer.

Actuellement, ces magistrats, contrairement par exemple aux juges d’instruction ou aux juges des enfants qui sont nommés par décret, se voient confier ces fonctions par leur hiérarchie sans avoir la garantie de suivre les dossiers dans lesquels ils statuent. Or le rôle de plus en plus central du juge des libertés et de la détention dans le système judiciaire de ce pays conduit à reconsidérer sa position. Elle implique en effet de tenir des permanences et nécessite une formation spécialisée.

Évidemment, la réforme envisagée impose en outre la création de postes suffisants, évalués à 77 ou 80 ETPT de magistrats et à environ 70 fonctionnaires par l’étude d’impact, à une époque où le ministère annonce la suppression de 76 postes de magistrats… En effet, si l’on veut se donner les moyens d’un contrôle réel, qui ne soit pas exercé à la va-vite entre deux déferrements, les magistrats et fonctionnaires doivent pouvoir pleinement investir ce nouveau contentieux et se former à cette matière complexe souvent méconnue dans les juridictions.

De la même façon, il est indispensable de prévoir la possibilité de désigner un avocat en urgence, comme en matière de contentieux des étrangers, pour que le patient qui le souhaite ait un accès effectif à la défense et puisse exercer ses droits. De même, le montant prévisionnel de l’aide juridictionnelle indispensable se situe dans une fourchette allant de 3,7 à 6,8 millions d’euros.

Il est également envisagé de recourir à la visioconférence pour les auditions, ce qui permettrait, du point de vue des auteurs de l’étude, des économies substantielles en terme notamment d’accompagnement et de transfert des malades dans les tribunaux. Il est essentiel de rappeler qu’il ne s’agit que d’une faculté pour le juge, faculté à laquelle le Syndicat de la magistrature s’est toujours déclaré totalement opposé. Le recours à ce dispositif, qui ne permet pas un véritable dialogue entre le juge et le patient par définition en situation de détresse, compliquera l’audition par le magistrat. Il annihile en outre la force symbolique du lieu de l’audience pour un public auquel on prétend garantir un accès au juge judiciaire, gardien des libertés individuelles. Il pose enfin comme toujours la question de la place de l’avocat, dont on ne sait s’il devra se trouver auprès de son client ou du magistrat.

Par ailleurs, l’idée émise par l’étude d’impact de faire appel à un membre de l’établissement hospitalier comme greffier nous paraît par ailleurs totalement incongrue. Elle sous-entend que le rôle du greffier peut être tenu par une personne non formée à cette tâche et dont ce n’est pas le métier et nie la spécificité de la place de ce fonctionnaire dans une audience judiciaire.

Enfin, l’intervention désormais systématique du juge des libertés et de la détention nécessite la possibilité de faire appel à des experts dans des conditions et des délais satisfaisants. À l’heure actuelle, l’application du décret du 20 mai 2010 fixant des délais impératifs pour statuer sur les requêtes par le juge pose déjà des problèmes importants dans plusieurs juridictions. Il est donc essentiel de résoudre les problèmes administratifs et financiers qui entravent à l’heure actuelle le recrutement et le maintien sur nos listes des experts judiciaires.

Dans le projet, l’intervention du juge judiciaire se limite comme aujourd’hui au bien-fondé de l’hospitalisation et ne permet pas au patient de contester le traitement qui lui est administré. Elle n’est pas prévue non plus dans le protocole qui définit les modalités du soin contraint à domicile et pour intervenir dans les désaccords pouvant survenir entre le psychiatre et le préfet au sujet de la modification du protocole de soins.

Le Syndicat de la magistrature considère qu’un débat devrait se tenir sur l’instauration d’un bloc de compétences confiant au juge judiciaire l’intégralité du contentieux concernant le soin contraint, tant dans son principe que dans ses modalités. En effet, le patient placé sous contrainte reste aujourd’hui confronté à une dualité de compétences rendant les recours quasi-impossibles en pratique.

Il est enfin tout à fait choquant que la loi prévoie la possibilité pour le directeur de l’établissement ou le préfet de demander au procureur de la république de saisir dans les six heures le premier président de la cour d’appel afin de voir suspendre la décision de mainlevée d’hospitalisation prise par le juge. Il s’agit là d’un véritable « référé-hospitalisation » tendant à confirmer l’idée que l’hospitalisation doit rester la règle.

Cette disposition signe encore la préoccupation, plus sécuritaire que soucieuse des droits du malade, qui inspire ce texte. Elle rend de plus en plus difficile pour les professionnels la levée des mesures d’hospitalisation contraintes, chacun pouvant craindre de voir un jour engager sa responsabilité en cas d’incident. La détermination actuelle du chef de l’État à rechercher des responsables et à annoncer des sanctions valide malheureusement ces craintes…

Il est essentiel pourtant de rappeler que les personnes faisant l’objet de soins sous contrainte sont d’abord des malades et qu’une grande majorité d’entre eux ne pose aucun acte de délinquance : il est donc pour le moins choquant que leur situation soit régie par un texte civil qui est non seulement une loi d’exception mais est fortement empreint de dispositions pénales.

Le Syndicat de la magistrature est quant à lui résolu à s’engager pour que cette nouvelle mission confiée aux magistrats ne devienne pas une formalité alibi expédiée derrière un écran de télévision et pour qu’elle ouvre aux patients un espace d’exercice effectif de leurs droits.


Sur le site du Syndicat de la Magistrature