2011-02-15 Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’internement psychiatrique

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/YSROc ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/69

Document du mardi 15 février 2011
Article mis à jour le 30 août 2020

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2011-02-15 CGLPL Hospitalisation d’office Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

http://www.cglpl.fr/

JORF nº 0067 du 20 mars 2011 texte nº 39

AVIS du 15 février 2011 au JO du 20 mars du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatif à certaines modalités de l’hospitalisation d’office

NOR : CPLX1107435V

1. En vertu de la loi, les préfets peuvent, sur le fondement d’un certificat médical précis, faire admettre à l’hôpital des personnes, contre leur gré, atteintes de troubles mentaux et qui « compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Cette mesure exceptionnelle (plus de 15 000 par an sont prises), appelée « hospitalisation d’office » peut être renouvelée, sans limite de temps, de sorte que la personne visée reste à l’hôpital. Celle-ci en sort lorsque le médecin psychiatre, qui estime la sortie possible, la propose au préfet, lequel décide ou non la mainlevée de l’hospitalisation d’office. Dès avant cette sortie toutefois, le séjour hospitalier peut être aménagé par des « sorties d’essai », autorisées par le préfet, conçues en général pour être de plus en plus longues avant la sortie définitive. La durée moyenne de séjour à l’hôpital des personnes hospitalisées d’office est de 95 jours : elle a tendance aujourd’hui à croître.

2. L’exercice de telles prérogatives, lesquelles se font désormais avec l’aide des agences régionales de santé, requiert en permanence un équilibre délicat à atteindre entre les exigences de l’ordre public, la nécessité des soins et la considération de la fragilité des personnes en cause. Le danger que peuvent représenter ces dernières, pour elles-mêmes ou pour autrui ― lequel n’est pas nécessairement proportionné à des manifestations extérieures parfois spectaculaires, avec lesquelles il ne doit pas être confondu ― nécessite sans aucun doute des mesures de contrainte. C’est pourquoi, l’hospitalisation d’office est bien une mesure de privation de liberté, ainsi qu’il est jugé tant en droit interne (par exemple cour d’appel de Paris, 1re chambre, A, 13 avril 1999) que par la Cour européenne des droits de l’homme (par exemple CEDH, 3e section, 16 juin 2005, Storck c/Allemagne, nº 61603/00). La nécessité d’apporter des soins aux intéressés ne peut dissimuler cette réalité, au contraire de ce qui est indiqué parfois par des personnels soignants ― ce qui ne signifie pour autant nullement qualifier un hôpital de « prison ». Cette privation de liberté doit donc être entourée de toutes les garanties nécessaires, d’autant plus que la personne n’est pas nécessairement à même de faire valoir sans difficultés les droits qu’elle tient de la loi. C’est là la mission même du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La privation de liberté ne peut, en l’occurrence, être maintenue que si, et seulement si, deux conditions sont avérées : qu’une menace grave à l’ordre public soit établie ; que des soins tels que ceux dispensés à l’hôpital soient nécessaires.

3. Quatre éléments constituent aujourd’hui une rupture de l’équilibre à atteindre.

4. En premier lieu, la direction et le corps médical des établissements doivent être particulièrement vigilants sur la faculté donnée aux personnes qui sont hospitalisées d’office de contester devant le juge compétent la mesure dont elles sont l’objet.
Tel n’est pas le cas lorsque, d’une part, les droits qui doivent être notifiés dès l’admission à l’hôpital sont souvent présentés abstraitement et indiqués de manière expéditive, quand la notification elle-même n’est pas différée. Lorsque, d’autre part, le recours à l’avocat n’est pas toujours immédiatement possible, certains psychiatres estimant qu’un temps d’adaptation à l’hôpital est nécessaire dont ils décident la durée au vu de l’état du patient : or, si une phase de cette nature peut être prescrite, elle ne peut s’appliquer à l’avocat, dont l’accès doit être inconditionnel. Lorsque enfin, n’est pas précisé ― tel est le cas dans environ la moitié des établissements visités jusqu’à ce jour ― à la personne admise la possibilité qu’elle a de désigner, conformément aux dispositions législatives régissant le droit des malades, une « personne de confiance » chargée notamment de « l’accompagner dans ses démarches » : or cette personne est susceptible d’apporter une aide efficace à ceux qui, admis sous le régime de l’hospitalisation d’office, portent atteinte sans doute à l’ordre public mais sont simultanément, souvent, très vulnérables, parfois privées de tout soutien familial.

5. En deuxième lieu, à rebours de la politique entamée au cours des années soixante, les portes d’un nombre croissant d’unités hospitalières psychiatriques sont aujourd’hui fermées à clef. Leurs patients ne peuvent sortir librement, même pour se promener dans un parc, se rendre dans une cafeteria, ou participer à un office religieux. Ces restrictions ne sont pas sans incidences sur la vie des malades (par exemple sur l’éventail des activités thérapeutiques offertes ou les difficultés qu’il y a à fumer) et sur les relations avec leurs proches. Mais on voudrait ici attirer l’attention sur ce seul point : la mise sous clé des unités, donc des personnes, a pour effet de mettre dans des conditions identiques des malades entrés sous le régime de l’hospitalisation d’office et des patients présents comme hospitalisés dits « libres », c’est-à-dire étant venus à l’hôpital avec leur consentement.
On doit se demander, par conséquent, ce qu’il advient de cette liberté si, de fait, pas davantage que les autres, les malades en hospitalisation libre ne peuvent disposer du droit de sortir comme ils l’entendent, autrement dit sont, dans la réalité, privés de leur liberté d’aller et de venir. Surtout, on doit relever que cet enfermement ne s’est accompagné d’aucune procédure particulière : elle est la seule conséquence du choix des responsables de l’unité où ces malades se trouvent (on sait qu’ils sont affectés par « secteur » géographique) d’en avoir demandé et obtenu la fermeture. Ni décision individuelle, ni indication d’aucune voie de recours, ni a fortiori l’intervention d’aucun juge n’ont déterminé une telle situation. Il y a lieu de s’interroger sur cette manière de faire. Il paraît utile que le « malade libre » ait au moins le choix entre unité ouverte et unité fermée et, s’il choisit cette dernière, d’assurer qu’il est avisé de ses droits, en particulier de son droit à contester à bref délai la mesure dont il est l’objet.

6. En troisième lieu, les craintes d’atteintes à l’ordre public rendent, dans un nombre croissant de départements, l’obtention des sorties d’essai plus difficile et les mainlevées de mesures d’hospitalisation d’office plus aléatoires.
Traditionnellement, en effet, les représentants de l’État suivaient très largement les avis médicaux qui leur étaient soumis et accordaient en conséquence les mesures sollicitées. Il n’en va plus de même aujourd’hui et ce, dans trois domaines.

a) Le premier est celui des sorties d’essai.
Il est implicitement mais nécessairement considéré par les autorités qui ont à accorder l’autorisation de sortie que, lorsque la sortie d’essai est demandée, le patient demeure aussi dangereux pour lui-même ou pour autrui qu’au jour de son hospitalisation. En tout état de cause, elles font parfois procéder à une enquête de police, laquelle, se déroulant dans les lieux où vivait la personne en cause, avant que celle-ci ne soit hospitalisée d’office, ne peut rien énoncer de plus que les faits initiaux ayant conduit à l’hospitalisation. Et comme ces faits révèlent un danger, la tentation est grande de s’en tenir à un refus de la proposition du psychiatre.
C’est, indirectement, reconnaître qu’entre le jour de l’hospitalisation et le moment où le psychiatre propose en connaissance de cause un allégement des contraintes il ne s’est rien passé.
Cette idée, qui ignore d’ailleurs la conscience professionnelle des soignants, est inexacte et méconnaît l’esprit de la loi en vigueur. Celle-ci repose, en effet, sur l’idée que les soins apportés au malade, notamment les traitements qui lui sont prescrits ou administrés, s’ils ne conduisent pas au retour à un état stable et dépourvu de manière permanente de tout danger, peuvent au moins garantir pour des périodes plus ou moins prolongées que le patient n’est plus dangereux. Par conséquent, dans cette hypothèse, la loi rend possible l’allégement des contraintes sous la forme d’une sortie d’essai. Certes, il ne s’agit que d’une possibilité. Mais elle ne saurait être mise en échec ― s’agissant d’une privation de liberté ― que pour des motifs avérés de risque de danger ou d’atteinte grave à l’ordre public. Il apparaît impossible de fonder un refus sur des faits anciens : seul des faits actuels devraient pouvoir être pris en considération. Le rappel des faits passés ayant conduit à l’hospitalisation ne saurait établir la réalité de tels motifs.

b) La deuxième porte sur les mesures de fin d’hospitalisation d’office.
De manière symétrique, l’avis des psychiatres relatif à une fin de l’hospitalisation d’office est regardé par l’autorité publique avec une méfiance similaire. Identiquement, des enquêtes sont ordonnées, mais qui ne peuvent porter par définition que sur des faits antérieurs à l’hospitalisation et, par conséquent, ne sauraient apporter aucune indication sur l’état de santé du patient au terme du traitement dispensé à l’hôpital. Or, pour s’exprimer comme le Conseil constitutionnel, seuls des « motifs médicaux » et des « finalités thérapeutiques » (décision nº 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, consid. 25), associés en l’occurrence à la préservation actuelle de l’ordre public, peuvent justifier la privation de liberté.

c) La troisième concerne l’hospitalisation d’office des personnes incarcérées.
Les autorités responsables de l’ordre public craignent que les conditions de l’hospitalisation d’office de détenus, qui est actuellement en croissance (environ 1200 chaque année), ne facilitent une éventuelle évasion dans la mesure où, aujourd’hui, cette hospitalisation s’effectue en milieu hospitalier de droit commun. C’est pourquoi, dans certains départements, lorsque le médecin compétent demande « de manière circonstanciée » une telle mesure, sur le fondement des articles L. 3214-1 et suivants du code de la santé publique et de l’article D. 398 du code de procédure pénale, son exécution est subordonnée dans certains cas à des investigations de police ou de gendarmerie ou à l’avis du parquet. Ces indications ont pour effet de retarder l’admission à l’hôpital demandée et même, dans certains cas, de conduire à la refuser. Elles ont toujours pour conséquence de laisser hors d’une thérapeutique adaptée (et à la charge des personnels pénitentiaire, d’une part, et soignant, d’autre part, dans la prison) des personnes dont il est estimé qu’elles relèvent d’urgence d’un traitement plus lourd. En l’espèce, il ne s’agit donc pas d’un risque de privation arbitraire de liberté, mais du risque de soins volontairement inadaptés à l’état de santé de la personne malade : les droits fondamentaux de la personne détenue exigent pourtant que des soins appropriés à son état de santé puissent lui être prodigués (Cour européenne des droits de l’homme, 5e sect., 16 octobre 2008, Renolde c/ France, nº 5608/05).

Telles qu’elles sont menées aujourd’hui, ces trois pratiques, en particulier les deux premières, ont pour effet global d’accroître le nombre de patients hospitalisés et la durée de leur séjour, de faire obstacle à des sorties d’essai que l’état des patients permettrait et plus encore de maintenir à l’hôpital des personnes dont l’état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu’elles y soient maintenues contre leur gré. Elles peuvent, dans certains cas, comme l’a constaté le contrôle général, conduire à un encombrement des lits hospitaliers et éventuellement à faire obstacle à l’hospitalisation de personnes qui en auraient au contraire réellement besoin. C’est donc une politique à courte vue qui peut avoir des effets contraires à ceux recherchés.

7. En quatrième et dernier lieu, la pratique très générale qui consiste à mettre nécessairement, quel que soit leur état de santé, les détenus hospitalisés d’office (article D. 398 susmentionné du code de procédure pénale) en chambre d’isolement (sécurisée) et, surtout, à les y maintenir pendant toute la durée de leur hospitalisation, alors même qu’ils seraient consentants aux soins et alors qu’aucune justification médicale ne peut être invoquée pour un tel maintien, appelle également de sérieuses réserves. Cet état de fait, souvent imposé à la direction des établissements et, par voie de conséquence, aux responsables médicaux par l’autorité chargée de l’ordre public, compromet la santé du détenu malade à un double titre. Il lui interdit d’avoir accès, contrairement aux autres malades qui ne sont pas isolés, aux thérapies collectives mises en œuvre (groupes de parole, ergothérapie…). Elle provoque fréquemment, du fait même des contraintes imposées au malade, la demande de ce dernier de réintégrer au plus vite l’établissement pénitentiaire d’où il provient, alors même que des soins à l’hôpital seraient encore nécessaires.
Il existe quelques établissements où les détenus hospitalisés d’office ne sont pas systématiquement placés à l’isolement, sans que pour autant le risque d’évasion ― qui motive usuellement le maintien en chambre sécurisée ― soit plus élevé ce qui permet de dispenser des soins adaptés à l’état des patients. Cette manière de voir doit prévaloir sur une mise à l’isolement automatique, qui méconnaît l’obligation d’adaptation des soins et les caractéristiques du détenu.
Comme précédemment, on doit souligner que l’accroissement du nombre de personnes maintenues inutilement à l’hôpital ou en chambre d’isolement peut en effet conduire à une difficulté de gestion des lits ou des chambres sécurisées disponibles, comme on l’observe déjà parfois, et à faire hospitaliser avec difficulté des personnes dont l’état le nécessiterait de manière urgente.

8. Comme il a été indiqué d’emblée, l’arbitrage évoqué entre les nécessités liées à la protection de l’ordre public et l’état de santé est délicat. On ne saurait se réclamer dans cette matière d’évidences qui s’imposeraient aisément. Mais les incertitudes et les risques qui subsistent ne peuvent pas conduire à un accroissement préoccupant du nombre de personnes dont la maladie n’exige plus qu’elles soient privées de liberté ou isolées, sans justification médicale reconnue, pour des motifs d’atteinte à l’ordre public qui ne seraient ni avérés ni actuels. Si l’on est en droit d’exiger des praticiens de donner des assurances d’ordre médical, on est aussi en droit attendre des autorités qu’elles établissent le risque qu’elles invoquent pour justifier la poursuite d’une privation de liberté.

9. Dans ces conflits entre praticiens, malades, autorités et protection des tiers, l’autorité judiciaire doit jouer davantage son rôle. A minima, il est, par conséquent, souhaitable qu’en cas de désaccord entre le corps médical et l’autorité administrative, en matière administrative, le juge compétent soit amené à trancher, le directeur d’établissement étant alors tenu de lui en référer sans formalité.

J.-M. Delarue