2010-10-16 Un internement arbitraire en Unité pour malades difficiles (UMD)

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/aPP9S ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/19

Document du samedi 16 octobre 2010
Article mis à jour le 30 mars 2024
par  A.B.

Pour lire la suite de cette affaire :
2011-09-19 Le Tribunal administratif de Versailles annule une H.O. d’un an, dont six mois à l’UMD Henri-Colin .

2015-11-25 Le TGI de Paris accorde 70 000 € d’indemnisation pour une H.O. arbitraire ayant duré un an

Mais aussi : 2019-11-06 - L’internement arbitraire de Jean Lemoine (historien) 1913- 1924


Intervention au siège de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), le samedi 16/10/2010, à une journée de formation sur L’état des droits dans les lieux de privation de liberté

L’affaire L.Y. M., une affaire d’internement arbitraire en Unité pour malades difficiles (UMD), 2009-2010

Préliminaire :

2009-09-23-JLD de Créteil
1re ordonnance du JLD de Créteil, aff. Y-L. M.

1º) Hervé Bazin, dans La tête contre les murs (1949) — c’est le Dr Salomon, psychiatre, médecin chef à l’asile départemental de Saint-Gemmes près d’Angers, qui parle dans cette citation :
« Les asiles, proclamait-il encore (dans l’intimité), ont deux tâches à remplir : la guérison de l’aliéné et la protection de la société. La seconde passe avant l’autre, car elle intéresse tout le monde et se réalise facilement. ».

2009-09-25 Rapport CDHP
Rapport de la CDHP du Val de Marne à la suite d’un contrôle du CH Paul-Guiraud

Précision : Hervé Bazin (1911-1996), grand romancier français fit dans son œuvre une satire virulente des oppressions familiales et sociales. Il connut un internement psychiatrique qu’on peut qualifier d’abusif en fin d’adolescence, au titre d’un Placement Volontaire familial (H.D.T. actuelle). Voir également Vipère au poing, son premier roman, 1948.

2009-11-09 JLD de Créteil
2e ordonnance du JLD de Créteil dans l’aff. L-Y. M.

2º) Nous avons constaté au GIA que la France officielle, psychiatrique, institutionnelle, y compris de gauche, refuse de reconnaître l’existence en France d’internements abusifs. L’idéologie dominante dans ce secteur de la santé et du maintien de l’ordre, est que nous sommes tous peu ou prou des malades mentaux à l’enseigne de docteurs Knock, exécutables soit sur divans si capacité de paiement, soit par des ordonnances renouvelables indéfiniment de psychotropes légaux (des médicaments psychiatriques). Un homme d’État français osa à un seul moment de l’Histoire de France, mettre en garde le pays contre le risque de l’internement abusif : Georges Clémenceau, alors ministre de l’Intérieur, dans une circulaire de 1906 adressée aux Préfets, leur enjoignant dans leurs visites de contrôle des asiles d’aliénés, d’ordonner la mainlevée immédiate de tout internement qu’ils estimeraient abusif afin de ne pas entacher le crédit de la France. Depuis 1906 plus rien ou à peu près, malgré un amoncellement à partir des années 80 de plus en plus évident, de jurisprudences des juridictions administratives et judiciaires mais aussi européennes (CEDH)…


Une jurisprudence négative au demeurant, du JLD de Créteil du 9/11/2009, résume cette affaire sous l’angle d’une position judiciaire. Cette décision est annexée au présent texte avec le rapport d’inspection de la CDHP du Val-de-Marne (CDHP : Commission départementale des hospitalisations psychiatriques) faisant à la suite d’une visite de contrôle faite par cette commission administrative le 25/9/2009, sur cette situation à l’UMD Henri-Colin du CHS Paul-Guiraud de Villejuif.

Si je voulais résumer cette affaire, je dirais qu’il s’agit d’une affaire d’hospitalisation d’office démonstrative d’un abus de pouvoir psychiatrique mais aussi préfectoral caractérisé, au regard d’une décision judiciaire libérant un interné. Décision de justice que ni l’administration préfectorale ni l’hôpital psychiatrique n’ont respectée, rappelant ainsi qu’en matière d’internement psychiatrique d’office, l’Administration et les praticiens hospitaliers ont plein pouvoir sur leurs patients, quand bien même la justice donnerait gain de cause à un de leurs patients…

Cette affaire démarre par la prise d’une H.O. par la Préfecture de l’Essonne, contre M. L.-Y. M. né en 1976, le 24 avril 2009, du fait de menaces de mort et de violences que celui-ci aurait exercé contre sa compagne qui venait de rompre leur couple vieux de 14 ans, alors même que leur mariage était envisagé. Le tout dans le contexte de ce qui fut diagnostiqué comme un état délirant dissociatif, avec des propos mystiques interprétatifs. Ce jeune homme venait par ailleurs, de tout perdre : son emploi, son salaire, sa femme et son logement … À sa sortie d’H.O. ses parents ont dû le recueillir à leur domicile. M. M., libéré en avril dernier, sollicite actuellement un relogement social. Je précise également que la compagne de M. M. exerce comme infirmière et en tant que telle connaissait le circuit psychiatrique.

M. M. a donc été interné en H.O. à partir du 24 avril 2009, dans la clinique de secteur Lacan de Yerres (91), dans laquelle le médecin chef, le Dr M., va prendre une décision clinique catastrophique, qui va déclencher ce drame. Le Dr M., décide dans un premier temps de ne pas sédater M. M. par neuroleptiques, tout en le plaçant en chambre d’isolement, en observation. Ce point ressort de ce que ses parents constateront et nous répercuteront, tandis que le dossier fait état que M. L. M. ne répond pas aux traitements qui sont progressivement haussés à bloc. Très rapidement, M. M. ne sachant pas ce qu’on lui veut, et n’ayant pas de recours ouverts, hausse le ton. L’incompréhension et la tension s’instaurent rendant le dialogue difficile. Cet état de fait sert au médecin chef et à son équipe pour demander le transfert de ce patient en Unité pour malades difficiles, en arguant également du fait que M. M. qui avait été adepte de culturisme (il travaillait dans le gardiennage) s’était procuré par Internet des anabolisants et des armes. Ces derniers points ne furent jamais ni vérifiés, ni démontrés.

Le 8 juin 2009, M. L.-Y. M. était donc transféré sous H.O., à l’Unité pour malades difficiles Henri-Colin, du CHS Paul-Guiraud de Villejuif, alors même que son état ne relevait à la base que d’une simple neuroleptisation à durée limitée liée à une négociation de son suivi, de sorte à démarrer, entre l’ équipe de soins et ce patient , une prise en charge psychiatrique classique.

Cette situation était d’autant plus étrange que les lits en UMD (sections de force psychiatriques) sont très demandés, par les centres de détention carcéraux, par les hôpitaux, ou par les centres d’urgence, précisément pour des patients en état de dangerosité gravissime, ayant commis des passages aux actes de type criminels, ou d’une violence et d’une dangerosité telles que seule une admission en UMD s’impose. Visiblement tel n’était pas le cas de M. M. Mais le médecin chef de la clinique Lacan de Yerres et son équipe en avaient décidé autrement, concevant ainsi un internement abusif en UMD, et un drame humain, procédural et judiciaire, qui allait se traduire par des violations des droits fondamentaux de l’interné, caractérisées.

Notre association était alertée courant mai 2009 par la mère de M. M. qui allait être tout au long de cette affaire notre interlocutrice privilégiée. Il est à noter qu’à la mi mai 2009, le Dr M., voyait en entretien M. et Mme M. (père et mère) pour les convaincre du bien fondé de sa demande de transfert en UMD, en leur faisant valoir qu’à l’UMD Henri-Colin, leur fils allait être pratiquement en maison de repos, qu’il allait y être très bien soigné… etc. La suite prouva à cette famille qu’en réalité s’il y a bien un enfer en France, c’est aussi bien le pavillon 38 de l’UMD Henri-Colin, dont la sinistre réputation n’est plus à faire. Ce pavillon totalement fermé et très carcéral est une des pires geôles que la France connaisse. Leur fils allait être sous racket de pavillonnaires moins neuroleptisés que lui, pour ses cigarettes et l’intendance, et allait donc subir des violences de la part de ses co-pavillonnaires mais aussi une certaine maltraitance de la part des infirmiers et des soignants du pavillon. On trouve sans doute mieux comme maison de repos enchanteresse et comme promesse d’un club Méditerranée, ce qu’avait pourtant laissé entendre le Dr M. de Yerres aux parents de M. M. pour que ceux-ci ne s’opposent pas au transfert de leur fils en UMD.

Le contact était donc interrompu entre Mme M. mère et nous à la mi mai 2009. Mais celle-ci finalement reprit notre attache à la fin du mois d’août 2009, puisque visiblement cette famille avait été leurrée, et que leur fils était en train d’être liquidé au secret, pour des années voire à vie, sans plus aucun contact familial, dans le pavillon le plus fermé de l’UMD Henri-Colin, avec des co-pavillonnaires parmi les plus dangereux et les plus sauvages de France.

Le GIA indiquait à Mme M. de demander la mainlevée immédiate de l’H.O. devant le Juge des libertés et de la détention du TGI de Créteil qui tint audience sur cette demande le 18/9/2009, mettant sa décision en délibéré au 23/9/2009.

J’avais pu pour cette affaire mobiliser Me Raphaël Mayet du barreau de Versailles, avec qui nous collaborons très fréquemment sur ces dossiers depuis une dizaine d’années. Il s’avérait lors de la consultation préalable à l’audience du dossier, que le dernier arrêté de maintien en H.O. de M. M. du 24/8/2009, était trop tardif de 24h, dans la chaîne des décisions préfectorales de cette H.O. qui durait depuis le 24 avril 2009, et que cet arrêté de maintien pour être valide aurait dû être pris, au plus tard, le 23/8/2009. Fort de cette tardiveté, Me Mayet demandait au JLD la mainlevée immédiate sans autre considération de fait comme de fond. En effet, en vertu de l’article L. 3213-4 du Code de la santé publique, les décisions d’internement psychiatrique sont sous condition de délais stricts qui, s’ils ne sont pas tenus, entraînent d’office la mainlevée des mesures de contrainte. Le JLD de Créteil ordonnait la mainlevée de cette H.O. dans son délibéré du 23/9/2009, notifié par fax aux administrations concernées, en début d’après midi.

D’après un compte rendu d’audience que m’avait fait Me R. Mayet, le soir même du 18/9/2009, l’équipe de l’UMD Henri-Colin avait poussé très loin le bouchon, en amenant à l’audience du JLD de Créteil, pour que soit envisagée la demande de levée d’H.O. formulée par sa mère, l’interné en chaussons et en pyjama d’interné, sans ses habits civils, et attaché à une ceinture de force psychiatrique. Ce qui indéniablement constituait un traitement cruel, inhumain et dégradant auquel le Juge au demeurant avait été sensible.

Le Juge des libertés et de la détention de Créteil mit sa décision en délibéré à 5 jours de l’audience. Le 23 septembre, ce délibéré fut connu : mainlevée était donnée à M. M. qui aurait dû être libéré immédiatement de l’UMD Henri-Colin. La décision fut notifiée à l’administration préfectorale et hospitalière vers 15h. À ce point la machine s’emballe.

Entre 15h et 21h, la Préfecture du Val-de-Marne, sous la conduite d’une inspectrice de la DDASS du Val-de-Marne qui supervise les arrêtés d’H.O. de cette préfecture, ordonne au CH Paul-Guiraud de requérir un médecin extérieur à l’hôpital pour faire établir un certificat médical extérieur permettant d’entériner une 2e H.O. distincte de celle qui vient d’être levée par voie judiciaire. L’équipe du pavillon 38 de l’UMD Henri-Colin argue dans cette affaire de sa peur extrême de la dangerosité de M. L. M. suivant en cela le schéma initié à la clinique de Yerres par le Dr M. Le principe de précaution l’emporte sur tout autre considération. Une dizaine de médecins extérieurs vont être contactés sans succès : ils refuseront tous de déférer à la demande de leurs confrères de l’UMD Henri-Colin. Jusqu’à ce qu’un psychiatre d’astreinte de SOS-Psychiatrie accepte de se déplacer à Villejuif pour établir un certificat de circonstance dont il semble que le contenu lui ait été dicté tant par la Préfecture du Val-de-Marne, que par ses collègues de l’UMD Henri-Colin, sans qu’il ait constaté lui-même ce dont il a attesté…

On observera qu’aucun fait nouveau ne vient établir ni la dangerosité expresse et actuelle du patient, ni non plus une quelconque aggravation de son état de santé psychiatrique. Sur ce 2e point au contraire, un certificat médical de situation du mois précédent cette nouvelle donne atteste : « … une ébauche de prise conscience et de critique du comportement. Le délire a été rapidement stabilisé. Bonne adaptation institutionnelle et à l’organisation des soins. Pas de troubles du comportement … H.O. à maintenir pour la poursuite des soins. » Dr M. B. B., cheffe de service de l’UMD Henri-Colin. Non seulement la situation psychopathologique de l’intéressé est correcte, mais l’H.O. n’est plus maintenue qu’afin de pérenniser l’adhésion aux soins…

Au soir du 23 septembre 2009, alors même que la sortie judiciaire a été accordée à l’interné, le jour même, l’hôpital et la Préfecture font établir par le Dr C., médecin extérieur de SOS-Psychiatrie, un certificat médical où M. M., cette fois, et pour la circonstance : « … se présente avec une extrême rigidité, une froideur affective et un hermétisme du discours… il est sujet à des idées délirantes mystiques, à un sentiment de persécution et un questionnement délirant sur ses origines… il ne ressent aucune culpabilité à l’égard de son comportement violent vis-à-vis de son amie… il présente une dangerosité extrême, … ses troubles mentaux nécessitent des soins ou portent atteinte de façon grave, à l’ordre public et rendent nécessaire son hospitalisation d’office et la mise en place de protocoles intensifs et de mesures de sécurité particulières. ». En fait il apparaîtra, au long des débats contradictoires dans cette 2e affaire, que le Dr C. n’a en rien constaté lui-même l’état de fait qu’il décrit. Son certificat étant destiné à déclencher une H.O. recevable formellement, elle-même destinée à entraver et contrer une décision de justice intolérable pour la Préfecture du Val-de-Marne en tant qu’elle forme une libération sèche d’un interné en Unité pour malades difficiles, mais aussi pour cette même UMD qui ne peut se permettre de laisser passer un pareil précédent judiciaire.

Le 24 septembre au matin Mme M. mère contacte le GIA par mél, et nous avise qu’une 2e H.O. a été entamée. Elle confirme son mél par un 2e courriel à 12h31, faisant à la suite d’un entretien téléphonique qu’elle avait pu avoir avec la médecin cheffe de l’UMD Henri-Colin, et elle lance un SOS tous azimuts. Le lendemain, en accord avec Me Raphaël Mayet, nous décidons, face à cette situation qui est devenue scandaleuse, de ré-initier une nouvelle demande de sortie immédiate devant le même Juge des libertés et de la détention de Créteil. Me Mayet prenant à cœur cette affaire, décide d’y consacrer son activité à temps plein, trouvant intolérable qu’un interné dont il vient d’obtenir la libération soit maintenu enfermé et traité, sur un montage qui nous semble parfaitement contestable et relever d’une voie de fait administrative. Le même jour, nous contactons la CDHP du Val-de-Marne qui, par son président, décide de lancer une investigation.

Le 25 septembre, alors qu’en parallèle Me Raphaël Mayet lance une nouvelle saisine du Juge des libertés et de la détention de Créteil, et avise également le JLD qui vient de statuer sur cette affaire, le Président de la CDHP du Val-de-Marne, ainsi qu’un psychiatre hospitalier membre de cette CDHP, se rendent au CH Paul-Guiraud Villejuif, et à l’UMD Henri-Colin, et demandent à auditionner, en tant qu’autorité de contrôle départementale des hospitalisations psychiatriques (ce qu’est une CDHP), les protagonistes de cette affaire.

Je renvoie sur ce point au rapport de visite annexé au présent texte qui, long de 4 pages, est tout à fait éloquent. Je précise que le Président de la CDHP du Val de Marne, M. Antoine Dubuisson, par ailleurs membre du GIA, représente les usagers dans cette CDHP au titre de la FNAPSY. Et que deux mois et demi après cette inspection, la Présidente de cette fédération d’associations de patients décida de mettre fin à ce mandat de représentation, puisque M. A. Dubuisson qui était jusque là son représentant, entendait manier le droit donc la procédure, et faire valoir les droits concrets des patients, en contradiction avec la ligne de cette fédération partisane d’une stricte collaboration avec les institutions et de ce que ses représentants dans les institutions ne fassent aucune vague surtout judiciaire, au regard de l’administration comme des médecins et des équipes…

La 2e ordonnance prise par la Juge des libertés et de la détention de Créteil dans cette affaire, le 9 novembre 2009, également annexée au présent texte, est explicite. Tout d’abord il ne s’agit pas du même juge qui a ordonné la mainlevée sur tardiveté de l’arrêté d’H.O., le 23 septembre 2009, et ce Juge des libertés et de la détention tend à protéger l’Administration. Elle rejette donc la nouvelle demande de mainlevée, tout en prônant, suivant en cela le rapport de l’expert psychiatre qu’elle avait commis, un transfert de M. M. de l’UMD Henri-Colin vers de nouveau son établissement d’origine (Yerres, en Essonne), avec instauration de sorties d’essai, de sorte à aller progressivement vers une mainlevée de l’H.O. Les sorties d’essai seront acquises début 2010. La mainlevée de l’H.O. sera donnée à la fin du mois d’avril 2010, alors que cette H.O. avait un an d’ancienneté.

Mais en fait, pour qu’on vienne à ce point qui, malgré ce débouté du 9 novembre 2009, constituait une nette amélioration, il avait fallu l’irruption de la CDHP du Val-de-Marne qui, dans sa visite de contrôle du 25 septembre, s’était faite ouvrir les registres de l’établissement comme les dossiers de M. M. mais également avait auditionné tant les administratifs que les psychiatres parties prenantes de cette affaire, dont la médecin chef de l’UMD comme le psychiatre extérieur qui avait établi le certificat de circonstance permettant d’étayer cette 2e H.O., mais aussi l’interné lui-même, avec qui, enfin, une discussion ouverte avait pu être menée.

La CDHP du Val-de-Marne avait également obtenu le transfert dès le lendemain de sa visite de M. M. du pavillon 38 de l’UMD vers le pavillon 37 beaucoup moins carcéral, et un rétablissement des droits usuels pour une personne hospitalisée sous contrainte en psychiatrie, dont un rétablissement des droits de visite des parents à leur fils interné. En pratique, M. M. voyait son régime s’assouplir dés le 26 septembre, et son élargissement progressif se faire.

On notera également que pour consacrer cet élargissement, il fallut aussi l’audience du 28 octobre 2009, devant un autre Juge des libertés et de la détention de Créteil que celui qui avait ordonné la levée de l’H.O. le 23 septembre précédent sur tardiveté. Cette autre magistrate statuant une nouvelle fois sur cette affaire, en 2e saisine, auditionna le requérant — qui arriva à l’audience normalement encadré, avec cette fois ses habits civils, pas en pyjama d’interné, et sans entraves spéciales — ses parents, Me Mayet pour la défense de l’interné et de ses parents, Mme H., inspectrice de la DDASS du Val-de-Marne pour le compte de la Préfecture du Val-de-Marne, mais aussi M. A. Dubuisson en tant que Président de la CDHP du Val-de-Marne. Cette audience qui dura tout de même 1h15 et qui fut passablement houleuse, permit de prendre acte d’un certain recul sur position de la Préfecture du Val-de-Marne, celle-ci argumentant qu’elle avait fait donner une nouvelle H.O. à la suite de la décision de mainlevée judiciaire précisément parce qu’il s’agissait d’un internement en UMD, endroit stratégique s’il en est au plan sécuritaire et politique, et qu’il avait été hors de question pour l’Administration de céder du terrain sur un pareil internement. Néanmoins une normalisation de cette situation était clairement envisagée lors cette audience.

La décision de débouté de la JLD de Créteil du 9 novembre 2009 n’en est pas moins intéressante sur deux points :

— Tout d’abord si l’ordonnance décrit les éléments de doute sur le bien fondé de cette 2e H.O. pour finir par conclure au bien-fondé de l’internement et au rejet de la demande de mainlevée, elle n’en donne pas moins des indications sur un régime transitoire d’amélioration de la situation de l’interné à mettre en œuvre.

— Quant à la situation hors droit dans laquelle M. M. et l’administration se sont trouvées le 23/9/2009, entre 15h21, et 21h42, soit entre la notification par télécopie de l’ordonnance de sortie immédiate d’H.O. à la Préfecture du Val-de-Marne mais aussi au CH Paul-Guiraud Villejuif, et la transmission par télécopie de l’arrêté de la 2e H.O… les requérants demandent au JLD de la caractériser comme une « voie de fait ». la Juge des libertés et de la détention de Créteil, qui sera en cela suivie par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt confirmatif du 16 avril 2010, décline sa compétence, en se fondant sur la séparation des pouvoirs, et en renvoyant les intéressés à se pourvoir devant la juridiction administrative, sur le refus de l’autorité préfectorale d’exécuter la décision du JLD de Créteil du 23 septembre. Or, précisément à supposer que la juridiction administrative aurait été saisie, par exemple en référé, d’une telle situation, cette juridiction n’aurait pu également que se déclarer incompétente, dans la mesure où il s’agissait du refus d’exécuter une décision judiciaire d’un magistrat du siège. On voit mal dans de pareilles conditions comment la juridiction administrative, juge des illégalités de l’administration, aurait pu se considérer comme compétente sur un tel aspect de cette affaire.

Mais il en va ainsi des contradictions propres à l’internement psychiatrique français, qui est administratif quant à la prise de décision, et non de nature judiciaire. Et si dans cette affaire le requérant a pu, malgré tout, se faire entendre, parce qu’aiguillé sur un avocat spécialisé et vers des personnes issues de cadres organisés, compétentes sur le terrain en jeu, d’autres requérants n’ont certainement pas eu cette possibilité. Ce genre d’impasse étant typiquement issu du cadre administratif de l’internement psychiatrique tel que la France le pratique et le pérennise depuis près de deux siècles, en refusant de judiciariser ce cadre et de renforcer en conséquence les voies de recours des internés.

Le 27 novembre 2009, M. M. était transféré dans son établissement de départ à Yerre. Il avait été donc interné en UMD 5 mois et demi. La situation redevenait à peu près normale. Des sorties d’essai étaient instaurées peu après, la sortie définitive acquise fin avril 2010, au bout d’un an d’internement d’office.

L’affaire de M. M. reste actuellement pendante en annulation devant les tribunaux administratifs. Des annulations d’arrêtés vont très probablement intervenir, qui permettront de clore ce contentieux par une saisine du juge civil à fin d’indemnisation.

Depuis que sa sortie lui a été accordée, soit depuis 6 mois, on observera que M. M. se stabilise vaille que vaille, mais qu’il reste profondément traumatisé par l’épreuve de ce que fut son internement, étant précisé que si nous n’intervenions pas dans cette affaire, il s’agissait d’un internement de plusieurs années avec une chronicisation éventuellement à vie.

Je clos cette description, les pièces annexées étant suffisamment éloquentes, mais je tiens néanmoins à poser à l’occasion de cette affaire ces questions :

Trouvez-vous ce genre de situations normales, sachant qu’en France, dans les institutions psychiatriques, ce genre de drame est tout à fait courant.

Que pouvons nous faire pour mettre un frein, encadrer, et contrecarrer la logique de ce genre de drames ?

Y a-t-il lieu de laisser persister tout un black-out qui pèse sur ce genre de violations des droits fondamentaux ? N’est-il pas grand temps d’organiser une lutte d’ensemble contre de telles violations et le système qui les autorise, et de coordonner nos forces ?


Pièces jointes :
— Rapport de visite de la CDHP du Val-de-Marne, 25/9/2009.
— Ordonnances du JLD de Créteil, du 23/9/2009 et du 9/11/2009.


Principaux sigles :
CDHP : Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques.
CH : Centre hospitalier.
DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales.
HO : Hospitalisation d’office.
JLD : Juge de la liberté et de la détention.
UMD : Unité pour malades difficiles.