2018-06-08 Recours du CRPA devant le Conseil d’Etat contre le décret Hopsyweb du 23 mai 2018

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/MJLoSm ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/675

Document du vendredi 8 juin 2018
Article mis à jour le 27 août 2020
par  A.B.

Pour lire le décret du 23 mai 2018 : 2018-05-23 Décret portant fichage informatique généralisé des personnes psychiatrisées sous contrainte

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2018-12-28 Pour le Conseil d’État la procédure de classement sans suite sur expertise psychiatrique est constitutionnelle


Communiqué du CRPA relatif aux axes juridiques de notre recours en annulation du décret du 23 mai 2018

CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
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André Bitton.

Paris, le 5 juin 2018.

Notre association a convenu avec Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles, lors d’un rendez-vous relatif à notre saisine du Conseil d’État en demande d’annulation du décret du 23 mai 2018 autorisant un fichage informatique grand angle des personnes en soins psychiatriques sans consentement, que nous allons argumenter notre requête selon les axes juridiques suivants.
 

1. - Incompétence de l’auteur de ce décret

En effet le décret du 23 mai 2018 instaure de fait un authentique « casier psychiatrique informatique ». Le nombre de destinataires et la quantité d’information sont tels que les retombées en termes de libertés publiques pour les personnes qui sont ou ont été en soins psychiatriques sans consentement, qu’édicter un tel texte ne pouvait pas relever du seul pouvoir réglementaire, mais devait relever des prérogatives du Législateur. Ce décret nous semble donc violer l’article 34 de la Constitution qui définit les règles qui relèvent de la compétence du Législateur et celles qui relèvent du pouvoir réglementaire.
 

2. - Fichage des avocats ayant assuré la défense des personnes hospitalisées sans consentement

L’article 2-6°) de ce décret en prévoyant un fichage y compris des avocats (avec leurs coordonnées professionnelles et leur numéro de téléphone) des personnes ayant assuré la défense des personnes en hospitalisation sans consentement, constitue un excès de pouvoir manifeste dont on peut se demander s’il n’a pas comme objet de porter atteinte aux droits de la défense.
 

3. - Non opposabilité des antécédents psychiatriques

Ce décret viole l’article L 3211-5 du code de la santé publique qui stipule : « une personne faisant, en raison de troubles mentaux, l’objet de soins psychiatriques (…) conserve, à l’issue de ces soins, la totalité de ses droits et devoirs de citoyen, sous réserve des dispositions relatives aux mesures de protection des majeurs, sans que ses antécédents psychiatriques puissent lui être opposés. ». Ce décret rend ainsi opposables des antécédents psychiatriques qui légalement parlant ne doivent pas l’être.
 

4. - Sur l’absence de garanties sur l’effacement des données

En prévoyant par son article 6°) une durée de conservation de 3 ans des données collectées et diffusées, sans qu’il y ait de garanties quant à l’effectivité de l’effacement de ces données, ce décret crée un « casier psychiatrique informatique » sans ouvrir de possibilités pratiques de contrôle de ce fichage tant pour les personnes concernées et pour leur famille que pour l’autorité judiciaire. Cette absence de garanties sur l’effacement des données par un bordereau actant cette fin de fichage ou autre disposition prévue réglementairement nous semble illégale et comporte un risque d’atteinte disproportionnée aux droits et libertés des personnes qui ont été sous mesures de soins psychiatriques sans consentement.
 

5. - Non information des personnes en soins sans consentement sur ce fichage informatique

Alors que la CNIL (commission nationale informatique et libertés) avait pris acte dans sa délibération du 3 mai 2018 relative au projet de décret, de l’engagement du ministère de la santé de compléter le décret à intervenir de sorte d’inclure une clause mentionnant les conditions d’information des personnes en soins psychiatriques sans consentement sur l’existence de ce fichage informatique et sur leurs possibilités d’accès et de droit à rectification, le décret est totalement taisant sur ce point. Ce décret étant rentré en vigueur le 25 mai 2018, les personnes actuellement en soins psychiatriques sans consentement sont, et seront à l’avenir, l’objet d’un fichage grand angle sans même le savoir, sans même qu’une due information leur soit délivrée sur ce fichage, en violation de l’article L 3211-3 du code de la santé publique relatif aux droits que conserve en tout état de cause une personne admise en soins sans consentement.
 

6. - Question prioritaire de constitutionnalité possible sur les classements sans suite au sens de l’article L 3213-7 du code de la santé publique

Enfin nous avons envisagé la possibilité de greffer sur cette requête en annulation devant le Conseil d’État, des conclusions à fin de question prioritaire de constitutionnalité visant l’article L 3213-7 du code de la santé publique (visé dans le décret du 23 mai 2018), en ce que cet article inclut parmi les personnes signalées par les autorités judiciaire aux Préfets aux fins de mesures de soins sur décision du représentant de l’État sur le mode médico-légal, celles qui ont fait l’objet, sur la base d’une expertise psychiatrique les déclarant pénalement irresponsables au titre de l’article 122-1 du code pénal, d’un classement sans suite.

Le classement sans suite étant en général réservé aux personnes pour lesquelles les chefs de poursuite correctionnelles sont légers voire inexistants, et dans la mesure où ces classements sont pris par les procureurs de la république discrétionnairement sans débat contradictoire, une violation du principe de proportionnalité nous semble en place. Nous pourrions donc demander au Conseil d’État d’autoriser sur ce point l’envoi de nos conclusions devant le Conseil constitutionnel pour que soit tranchée la question de la constitutionnalité de l’inclusion des classements sans suite dans la catégorie des mesures médico-légales.


Recours du CRPA devant le Conseil d’État

CRPA / DECRET DU 23 MAI 2018 - 02726

CONSEIL D’ETAT

RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR

POUR

L’Association Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie(CRPA),
association régie par la loi de 1er juillet 1901, dont le siège social est
14 rue des Tapisseries – 75017 PARIS, prise en la personne de son Président, Monsieur André BITTON, domicilié en cette qualité audit siège.

Ayant pour Avocat
Maître Raphaël MAYET
SELARL MAYET ET PERRAULT
Avocat à la Cour - 78000 VERSAILLES
 

CONTRE

Le Décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
 

2018-06-08 Recours du CRPA devant le Conseil d’État.

L’association Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie, ci-après dénommée CPRA, sollicite l’annulation du décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
 

I. - SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE

Les recours pour excès de pouvoir contre les actes des autorités administratives présentés devant le Conseil d’État sont exemptés de l’obligation du ministère d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation en application de l’article R 432-2 du Code de Justice Administrative.

Par ailleurs, l’association requérante a manifestement intérêt à agir à l’encontre des dispositions du décret susvisé puisque en application de l’article 4 des statuts de ladite association, celle-ci a pour objet à titre principal :

— D’informer sur l’abus et l’arbitraire en psychiatrie, de promouvoir l’effectivité des droits de l’Homme et des droits à la défense dans l’exercice de la psychiatrie, en particulier dès lors qu’il s’agit de mesures de contrainte, selon l’article 5 § 1-e de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que selon l’article L 3211-1 du Code de la Santé Publique.

— De militer contre l’internement psychiatrique arbitraire, contre toute extension de la contrainte aux soins psychiatriques, contre les détournements du soin psychiatrique à des fins répressives, contre les traitements inhumains et dégradants, et contre les atteintes à l’intégrité physique et psychique des personnes dans le cadre des prises en charge psychiatriques,

— Les actions d’information et de mobilisation de l’association peuvent revêtir la forme de publications, notamment sur internet, de colloques, d’interventions et d’actions judiciaires tant dans les dossiers de personnes en intervention volontaire, que contre des actes réglementaires ou législatifs notamment par le biais de Questions Prioritaires de Constitutionnalité.

Il convient de préciser que l’association requérante avait déjà obtenu le 13 novembre 2013 devant le Conseil d’État l’annulation de certaines dispositions règlementaires intervenues à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins psychiatriques.

Dès lors, la présente requête est parfaitement recevable.
 

II. - L’ILLEGALITE DES DISPOSITIONS DU DECRET DU 23 MAI 2018 AU REGARD DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION

L’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958 dispose que la loi fixe les règles concernant :

« Les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice de leurs libertés publiques, la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense Nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens… »

Ainsi, l’article 34 susvisé réserve au législateur le soin de déterminer les règles applicables en matière de libertés publiques.

Au cas d’espèce, le décret susvisé a vocation à s’appliquer aux personnes qui ont fait l’objet de soins psychiatriques sans consentement.

Or, le Conseil Constitutionnel dans ses décisions de principe numéro 2010-71-QPC du 26 novembre 2010 (pièce 4), et 2011-135/140-QPC (pièce 5), a posé comme principe que les soins psychiatriques sans consentement constituaient une atteinte aux libertés publiques, rendant nécessaire l’intervention du juge judiciaire.

Ainsi, le décret n° 2018-383 du 23 mai 2018, qui autorise le traitement des données à caractère personnel relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement (pièce 1), qui permet l’enregistrement de données relatives aux personnes qui font l’objet de telles mesures ainsi que leur consultation par une liste étendue de personne, porte à l’évidence atteinte à l’exercice des libertés publiques.

Dans sa décision du 17 mars 2017 (pièce 7), le Conseil d’État, s’agissant de dispositions réglementaires applicables aux unités pour malades difficiles (UMD) telles qu’elles résultaient du décret n° 2016-94 du 1er février 2016, a retenu que ces dispositions n’étaient pas contraires à la règle opposée par l’article 34 de la constitution dès lors qu’il ne s’agissait que d’un décret d’application des articles L 3222-3 et L 3213-1 et suivants du Code de la Santé Publique.

Or, en l’espèce, aucun texte du Code de la Santé Publique relatif aux mesures de soins sans consentement ne prévoit, ni n’autorise la tenue d’un tel fichier.

Le pouvoir réglementaire n’a pas, pour le décret du 23 mai 2018, agi en application d’une disposition législative relative aux soins psychiatriques sans consentement, mais motu proprio sans support législatif.

D’ailleurs, il résulte de déclarations faites au journal LE MONDE le 2 juin 2018 (pièce 8), par le cabinet de la ministre de la Santé, que cette mesure pouvait être reliée à la lutte contre la radicalisation. Mme Muriel DOMENACH, secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation déclarant : « La radicalisation n’a pas plus de mono-causalités psychiatriques que de mono-causalités économiques ou religieuses, mais la dimension psychologique ne peut être totalement écartée ».

Une telle affirmation, pour le moins contestable en ce qu’elle confond notamment profil psychologique et pathologie psychiatrique, démontre bien que l’objectif de ce fichage est sécuritaire.

Dans ces conditions, la matière traitée par le décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 est de nature législative et non réglementaire, et le décret ne pourra qu’être annulé pour excès de pouvoir du fait de cet empiétement sur le domaine législatif qui est réservé par l’article 34 de la constitution.

De ce seul chef, le décret susvisé sera annulé.
 

II.2 - Subsidiairement, sur le fond

II.2.1 - Sur l’illégalité du décret au regard des dispositions de l’article L3211-5 du Code de la Santé Publique

Le texte et l’objectif même du décret litigieux contreviennent de manière on ne peut plus claire aux dispositions de l’article L. 3211-5 du Code de la santé Publique.

Ce texte dispose que :

« Une personne faisant, en raison de troubles mentaux, l’objet de soins psychiatriques prenant ou non la forme d’une hospitalisation complète conserve, à l’issue de ces soins, la totalité de ses droits et de ses devoirs de citoyen, sous réserve des dispositions relatives aux mesures de protection des majeurs prévues aux sections I à IV du chapitre XI du livre 1er du Code Civil, sans que ses antécédents psychiatriques puissent lui être opposés »

Ainsi le législateur a entendu, hormis l’hypothèse de la mise en place d’une mesure de protection de type curatelle ou tutelle, que les antécédents psychiatriques liés à une mesure de soins sans consentement ne puissent pas être opposés.

Il n’est pas concevable que le pouvoir réglementaire autorise la conservation de données sur les mesures de soins sans consentement alors que le législateur a posé le principe d’inopposabilité des antécédents et ce d’autant que parmi les personnes qui ont accès à ces données figurent les autorités titulaires du pouvoir de police.
Au regard de l’article L3211-5 susvisé l’annulation de ce décret s’impose.
 

II.2.2 - Sur l’illégalité du décret au regard du défaut d’information des personnes qui font l’objet de soins psychiatriques sans consentement sur le traitement de leurs données

Il convient de rappeler que le décret susvisé a été précédé d’une délibération n° 2018-152 du 3 mai 2018 de la Commission nationale informatique et libertés (pièce 2).

Cette délibération prévoyait (page 5) que « La Commission relève que le projet ne fait pas mention des conditions d’information des personnes concernées par le traitement.

Elle rappelle que les personnes concernées par le traitement HOPSYWEB doivent être informées, conformément aux dispositions de l’article 32 de la loi informatique et libertés.

En outre, elle rappelle, s’agissant des personnes faisant l’objet de soins sans consentement, qu’en application de l’article L 3211-3 du Code de la Santé Publique cette information doit intervenir dès l’admission ou aussitôt que son état le permet, et par la suite à sa demande.

La Commission prend acte de l’engagement du Ministère des Solidarités et de la Santé de compléter le projet sur ce point ».

Or, le Conseil d’État remarquera que malgré l’engagement pris par le gouvernement vis-à-vis de la Commission nationale informatique et libertés, aucune modalité d’information de la personne qui fait l’objet de soins sans consentement n’est prévue contrairement à l’exigence posée par les textes rappelés par la Commission Nationale Informatique et Libertés, à savoir l’article L 3211-3 du Code de la Santé Publique et l’article 32 de la loi Informatique et Libertés.

De ce chef, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

II.2.3 - Sur l’enregistrement et le traitement de données à caractère personnel concernant les avocats des personnes qui font l’objet de soins psychiatriques sans consentement

L’article premier du décret attaqué précise que le traitement des données à caractère personnel a pour finalité le suivi des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement.

A ce titre, l’article 2 - 6° du décret prévoit que seront enregistrées « Les données d’identification des avocats représentant la personne en soins psychiatriques sans consentement : nom, prénom, raison sociale, adresse et numéro de téléphone.

Les destinataires de ces données sont énumérés à l’article 4 du décret, à savoir :

— Le représentant de l’État dans le département, et à Paris le Préfet de Police ou les agents placés sous leur autorité qu’il désigne à cette fin,
— Le Juge des Libertés et de la Détention territorialement compétent,
— Les fonctionnaires du Greffe du Tribunal de Grande Instance chargés des procédures de soins sans consentement,
— Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel est situé l’établissement d’accueil,
— Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel se trouve la résidence habituelle ou le lieu de séjour de la personne en soins psychiatriques sans consentement,
— Le Premier Président de la Cour d’Appel ou son Délégué en cas d’appel de l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention,
— Le Procureur Général près la Cour d’Appel en cas d’appel de l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention,
— Les fonctionnaires du Greffe de la Cour d’Appel chargés des procédures de soins sans consentement en cas d’appel de l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention,
— Le directeur de l’établissement d’accueil ou l’agent placé sous son autorité qu’il désigne à cette fin,
— Le directeur de l’établissement pénitentiaire lorsque la personne admise en soins psychiatriques sans consentement était détenue, ou l’agent placé sous son autorité qu’il désigne à cette fin,
— L’avocat de la personne faisant l’objet de soins sans consentement pour ce qui concerne exclusivement des données et informations concernant son client,
— Les membres de la Commission Départementale des Soins Psychiatriques,
— Le maire, ou à Paris le commissaire de police, auteur d’un arrêté prenant les mesures provisoires en vue d’une admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État en application de l’article L 3213-2 du Code de la Santé Publique, et les agents placés sous leur autorité qu’il désigne à cette fin ».

On conçoit assez mal en quoi l’enregistrement des données concernant l’identité et la raison sociale de l’avocat qui est intervenu pour une personne dans le cadre d’une procédure de contrôle des hospitalisations sans consentement est nécessaire pour assurer le suivi de la personne en question.

En l’occurrence il s’agit ni plus ni moins d’un fichage des auxiliaires de justice.

Il sera rappelé à toutes fins utiles que la liberté d’exercice des droits de la défense est une liberté constitutionnelle auquel le pouvoir réglementaire ne peut porter atteinte.

Celui-ci ne saurait se retrancher derrière l’utilité de cette mesure pour assurer le contrôle périodique des hospitalisations sans consentement.

Dans le cadre de ces procédures, il sera rappelé que la personne qui fait l’objet de ces soins, est obligatoirement assistée ou représentée par un avocat. Ce dernier est librement choisi par cette personne ou, dans la plupart des cas, désigné par le Juge des libertés et de la détention ou par le Bâtonnier de l’ordre des avocats.

Cela implique que l’avocat à un moment donné d’une personne qui fait l’objet de soins sans consentement n’est pas nécessairement celui qui sera amené par la suite à assurer la défense de ses intérêts.

Dès lors, le fichage des avocats ne présente aucune utilité, et ce d’autant plus que les destinataires de ces données ne sont pas exclusivement les autorités judiciaires chargées du contrôle période des mesures d’hospitalisation sans consentement et ce d’autant plus que les données seront conservées plus de trois années après la fin de la mesure.

De ce chef, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

II.2.4 - Sur la durée excessive de conservation des données

L’article 6 du décret dispose que « Les données et informations mentionnées à l’article 2 sont conservées pendant 3 ans à compter de la fin de l’année civile suivant la levée de la mesure de soins sans consentement ».

Sur ce point, la Commission Nationale Informatique et Libertés avait émis des réserves (page 4 de l’avis).

La Commission avait en effet relevé que l’article 2 de l’arrêté du 19 avril 1994, relatif à l’informatisation du suivi des personnes hospitalisées sans leur consentement, prévoyait la conservation pendant la durée de l’hospitalisation des soins sans consentement jusqu’à la fin de l’année suivant la mesure de soins sans consentement.

Le Ministère de la Santé avait indiqué à la Commission nationale informatique et libertés qu’une étude de l’institut de recherches et de documentation en économie de la santé (IRDES) montrait qu’au-delà d’un délai de 3 ans les patients sont considérés comme stabilisés.

La Commission relevait toutefois qu’au vu des finalités poursuivies elle s’interrogeait sur la durée de conservations des données traitées par le projet au regard des finalités pour lesquelles les données sont collectées et traitées.

En effet, il ne s’agit plus de respecter un échéancier fixé par le Code de la Santé Publique, mais au-delà du terme de la mesure de soins sans consentement, de conserver les données concernant une personne qui a fait l’objet d’une mesure d’hospitalisation ou de programme de soins.

Il convient à cet égard de rappeler que par rapport à l’état du droit antérieur à la loi du 5 juillet 2011, la mesure de soins sans consentement peut désormais prendre la forme de programme de soins dont la durée dépasse celle de la mesure d’hospitalisation.

En réalité, la durée de conservation de 3 ans après la fin de l’année civile du terme de la mesure de soins est excessive au regard des finalités poursuivies, ou annoncées comme telles, par le décret n° 2018-383 du 23 mai 2018.

De ce chef, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

II.2.5 - Sur l’absence de dispositions particulières concernant les mesures de soins psychiatriques sans consentement déclarées irrégulières

L’étude des statistiques de l’activité judiciaire en matière de soins sous contrainte (pièce 3) montre qu’il y a près de 80.000 décisions du juge des libertés et de la détention concernant les soins psychiatriques sans consentement.

Sur ces décisions, seules 77% ont maintenu la mesure d’hospitalisation.

Dans 10% des cas environ, la mesure a été levée avant que le juge des libertés et de la détention n’ait statué, et la levée de la mesure a été ordonnée dans 13% des cas, soit plus de 6.000 décisions de levée par an.

Ainsi, dans un nombre significatif de cas, soit le juge des libertés et de la détention n’a pas statué sur la validité de la mesure, soit il a constaté que celle-ci ne respectait pas les conditions de forme ou de fond d’une mesure de soins sans consentement.

Pour autant, le décret du 23 mai 2018 attaqué ne prévoit aucune disposition particulière quant à l’effacement des mesures qui ont été déclarées irrégulières.

Il s’agit là encore d’une atteinte grave aux libertés publiques échappant à la compétence du pouvoir réglementaire, au surplus totalement illégale puisque dès lors que le juge judiciaire, qui est le gardien des libertés individuelles en application de l’article 66 du de la constitution, a déclaré qu’une mesure ne pouvait valablement se poursuivre, les données à caractère personnel concernant ces mesures ne sauraient être conservées, ni consultées par des autorités administratives ou judiciaires nombreuses.

De ce chef également, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

II.2.6 - Sur l’enregistrement des données relatives aux personnes qui ont fait l’objet d’un classement sans suite

L’article 2 du décret permet l’enregistrement « Le cas échéant des données transmises par les autorités judiciaires concernant les personnes ayant fait l’objet d’un classement sans suite, ou d’une décision d’irresponsabilité pénale pour des faits punis d’au moins cinq d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes, et au moins dix ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens ».

Sur ce point, si la personne qui a fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale a pu bénéficier d’une procédure au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses moyens de défense, et notamment contester la matérialité des faits qui lui sont imputés.

Il n’en est pas de même pour une décision de classement sans suite.

D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 20 avril 2012, ne s’y est pas trompé (pièce 6), puisque le défaut d’information préalable et le défaut de garantie procédurale ont été considérés par le Conseil Constitutionnel comme ne respectant pas les libertés fondamentales.

Or, il sera rappelé qu’une procédure de classement sans suite n’est pas une procédure contradictoire au cours de laquelle la personne qui fait l’objet de la poursuite a pu faire valoir ses moyens de défense, ni avoir accès au dossier de la procédure.

De ce chef également, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

II.2.7 - Sur la liste des personnes habilitées à consulter les données à caractère personnel

Sur ce point la Commission nationale informatique et libertés a émis des réserves puisqu’elle a relevé que « Les personnels désignés et habilités par la ministre des Solidarités et de la Santé ne figurent pas parmi les destinataires des données, tandis que l’article 4 du projet prévoit la possibilité pour la ministre de désigner des personnels habilités à accéder aux données et informations mentionnées à l’article 2 du projet ».

La Commission a par ailleurs relevé que la finalité du traitement décrite à l’article 1er du projet était limitée s’agissant du Ministère des Solidarités et de la Santé à la consultation nationale de données compilées dans chaque département

La Commission nationale informatique et libertés a ajouté que dans la mesure où cette finalité ne semblait pas nécessiter l’accès par les personnels du ministère aux données à caractère personnel, la Commission sollicitait que le projet d’article 4 soit modifié afin de ne plus faire mention, s’agissant des personnes désignées et habilitées par la ministre, d’un accès aux données décrites par l’article 2 du projet.

Pour autant, ce texte n’a pas été modifié par le décret attaqué.

De ce chef également, le décret susvisé ne pourra qu’être annulé.
 

III - SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE L 761-1 DU CODE DE LA SANTE PUBLIQUE

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’association requérante les frais irrépétibles qu’elle a dû engager dans le cadre du présent recours.

Il lui sera alloué la somme de 2.500 euros en application de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative.
 

PAR CES MOTIFS

Et tous autres à déduire, suppléer au besoin même d’office, l’association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie sollicite qu’il plaise au Conseil d’État de :

— Annuler le décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.

— Condamner l’État à payer à l’association requérante la somme de 2.500 euros en application de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative.

SOUS TOUTES RESERVES

Signatures :

André BITTON. Président du CRPA

Maitre Raphaël MAYET, avocat.
 

PIECES JOINTES :

1. - Décret n° 2018-383 du 23 mai 2018.
2. - Délibération 2018-152 de la CNIL du 3 mai 2018.
3. - Statistiques de l’activité judiciaire pour les soins sous contrainte de mai 2017.
4. - Décision 2010-71-QPC du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010.
5. - Décision 2011-135/140-QPC du Conseil Constitutionnel du 9 juin 2011.
6. - Décision 2012-235-QPC du Conseil Constitutionnel du 20 avril 2012.
7. - Arrêt du Conseil d’État du 17 mars 2017.
8. - Article du MONDE du 2 juin 2018.
9. - Décision d’ester en justice.
10. - Statuts de l’Association CRPA.


Observations de la CNIL dans le cadre de ce recours

2018-08-31 Observations de la CNIL.

En pièce jointe les observations de la CNIL (commission nationale informatique et libertés) datées du 31 août 2018 dans le cadre de notre recours devant le Conseil d’État contre le décret du 23 mai 2018 autorisant le traitement informatique de données relatives aux personnes en soins psychiatriques sans consentement.

2018-09-11 Dépêche d’Hospimedia.

Ces observations renforcent nos arguments notamment sur la durée de conservation, la teneur de ces informations, ce doute sur la nécessité que certains destinataires soient pertinents pour détenir de telles informations, ainsi que sur la nécessité de prévoir un effacement de ces informations dans le cas où certaines de ces mesures sont constatées illégales par l’autorité judiciaire.

Qu’on ose nous dire que nous avons encore une fois fait preuve d’être des paranoïaques quérulents, ce qui nous a été continûment mis dans la figure depuis le déclenchement en 1973 d’une lutte juridique systématique en matière de droits fondamentaux des personnes internées en milieu psychiatrique et soumises à des pratiques de contrainte aux soins. Cela dans le cadre du Groupe information asiles (GIA) des années 1970.